vendredi 11 juillet 2008

No comment...

Eurockéennes face à Main Square : deux festivals, deux logiques opposées


L'amateur de rock en plein air n'aura que l'embarras du choix pour le week-end du 4 au 6 juillet : quatre festivals de masse sont organisés simultanément. En Bretagne (Terre Neuvas à Bobital), dans l'Est (Les Eurockéennes de Belfort), dans le Nord (Main Square Festival d'Arras) et en région parisienne (Solidays à l'Hippodrome de Longchamp). Est-ce bien raisonnable sachant que cette activité connaît actuellement une récession ? La France comble pourtant son retard européen au risque d'une concurrence féroce.

Parmi les quatre rendez-vous du week-end, deux sont atypiques : Solidays en raison de sa mission associative (la lutte contre le sida), et d'une tarification modeste (25 euros la journée) en conséquence. Terre Neuvas entre davantage dans un schéma de concurrence régionale en Bretagne.

C'est vers le Nord que convergent les regards avec Main Square. La manifestation n'est pas neuve (cinquième édition) mais ses ambitions et sa médiatisation sont inédites. Organisée par la productrice France Leduc, elle ne comportait que deux noms en 2004, Placebo et Gomm. Aujourd'hui, elle se tient sur trois jours et cherche à attirer trois publics - nordiste, belge et britannique - grâce à la proximité de l'Eurostar.

Symboliquement, Main Square a ravi cet été le groupe britannique Radiohead (dont le cachet peut aller jusqu'à 600 000 euros) aux Eurockéennes de Belfort, qui fêtent leurs 20 ans. "Radiohead est déjà venu deux fois chez nous, réagit Jean-Paul Rolland, directeur des Eurockéennes. Je crois que pour ce groupe, très écologique, les liens entre Main Square et le festival de Werchter, en Belgique, ont joué."

La particularité d'Arras est, en effet, de fonctionner en binôme avec Werchter, devenu depuis 1975 un des plus grands rassemblements européens. Connu pour son militantisme vert, le grand frère a remporté plusieurs fois le Arthur Award, récompensant le meilleur festival au monde. Beaucoup craignent cependant qu'avec Main Square s'exporte un modèle privé de festival.

Car Werchter appartient à Live Nation, multinationale américaine devenue le premier organisateur mondial de concerts en rachetant à tour de bras (salles, billetterie, contrats d'artistes comme Madonna ou le rappeur Jay-Z).

Sur les seize noms programmés à Arras, onze le sont à Werchter. France Leduc a en effet comme partenaire le fondateur du géant belge, Herman Schueremans, membre (libéraux et démocrates) du Parlement flamand et patron de Live Nation Belgique. Main Square serait-il le cheval de Troie de Live Nation en France ?

"On dit que j'ai fait entrer le loup dans la bergerie, ironise France Leduc. Mais il n'y avait rien dans le Nord - Pas-de-Calais. Alors qu'on laisse faire les privés sur les festivals. C'est devenu du business. Il faut des chefs d'entreprise."

Elle ne cache pas qu'une prise de participation majoritaire de Live Nation dans sa société, France Leduc Productions, est dans l'air : "Avec eux, la personne qui a fondé l'entreprise garde les commandes." En janvier, la multinationale a racheté la société de Jackie Lombard (qui organise les concerts de Madonna ou des Rolling Stones en France). Celle-ci est aujourd'hui la présidente de Live Nation France.

Entre Arras et Belfort, ce sont deux philosophies qui s'opposent. "Pour des raisons de communication, Main Square s'est positionné contre les Eurockéennes", estime Jean-Paul Rolland, avant de rappeler ce qui, selon lui, distingue les deux festivals : "Nous avons une structure associative, nos programmateurs sont des directeurs artistiques, notre intention n'est pas de mettre un groupe phare sur une place, mais de créer un festival, avec une ambiance, un esprit."

Les Eurockéennes disposent d'un budget de 7,2 millions d'euros - 17 % de subventions et 20 % de mécénat. Celui du Main Square est de 3,5 millions d'euros, la ville participant à hauteur de 1 %. Si elles peuvent absorber des cachets élevés, les Eurockéennes, en recevant de l'argent public, ont une obligation : pratiquer des tarifs raisonnables, 37 euros la journée, 95 euros pour un forfait trois jours. Le Main Square est plus cher : 45 euros la journée, et même 57 euros le dimanche (avec Radiohead). Pour trois jours, on passe à trois chiffres, 135 euros, un montant dissuasif pour un budget étudiant. Belfort offre 70 concerts sur cinq scènes contre 16 à Arras sur une scène unique installée sur la Grand-Place.

France Leduc, qui fut programmatrice des Eurockéennes, fait valoir sa différence : "Je peux présenter les shows complets des artistes, Radiohead jouera pendant deux heures. Ce n'est pas le passage d'une heure où tout le monde joue sous le même éclairage et dans le même décor. Notre scène, utilisée pour la tournée de Police, permet d'installer tous les light shows des groupes et des écrans qu'on ne voit jamais dans les festivals français."

Ces atouts bénéficieront au deuxième festival que la productrice organise le 14 août, toujours à Arras : Rock en France, un événement monté autour du groupe américain Metallica. Le sésame s'élèvera à 79 euros. Aimer le metal est plus coûteux.

Bruno Lesprit (avec Véronique Mortaigne)

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